Παρασκευή 30 Νοεμβρίου 2012

« C’est la guerre qui gouverne en Turquie »

 Mathieu Martinière sur `Turquie Européenne` 
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Sous couvert de lutte contre les Kurdes, l’État turc assimile toute opinion contestataire à du terrorisme. Un durcissement du régime qui envoie un nombre croissant d’étudiants et de journalistes en prison.
« Le fait de manifester nous emmène en prison. 
Le fait d’assister à un concert gratuit et légal nous emmène en prison. 
Le fait de se rassembler pour le 1er Mai nous emmène en prison (…) 
Quand je regarde la Turquie,  je ne vois aucune démocratie ». 



 En octobre, Sevil Sevimli nous confiait son amertume et évoquait son combat pour la liberté d’expression en Turquie. Depuis le 9 mai, cette étudiante franco-turque en journalisme à Lyon-II, en année d’Erasmus à Eskisehir dans l’Anatolie, est accusée de terrorisme par la justice turque. Pour un pique-nique, un concert et un collage d’affiches, elle encourt quinze à trente-deux ans de prison.
« Le procureur a admis que tout ce que l’on reprochait à Sevil Sevimli reposait sur des actes légaux. Mais en Turquie, l’accumulation de ces actes légaux devient un ensemble illégal, ironise Étienne Copeaux, chercheur associé au Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient. Ce qui est arrivé à Sevil se produit tous les jours. Ça fait vingt ans qu’on emprisonne les étudiants parce qu’ils manifestent pour la gratuité de l’enseignement. »
En 2012, selon le ministère de la Justice turc, on compterait 2 824 étudiants emprisonnés, dont près de 700 pour leurs opinions politiques. « Mais les chiffres officieux oscilleraient entre 5 000 et 10 000 incarcérations », corrige Étienne Copeaux. Sous le gouvernement de l’AKP, dirigé par le Premier ministre Erdoğan, les lois contre le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), reconnu comme organisation terroriste par l’UE, transforment toute opinion contestataire en acte de terrorisme.
« Aujourd’hui, si vous vous rendez à une manifestation publique et autorisée, et que soudainement le PKK décide de la soutenir, vous pouvez être complice de terrorisme », explique Vincent Duclert, cofondateur du Groupe international de travail (GIT) « Liberté de recherche et d’enseignement en Turquie ». « Le gouvernement de l’AKP était porteur d’espoir. Mais la guerre contre les Kurdes s’est intensifiée dès 2008, rappelle Étienne Copeaux. Depuis un an, c’est l’instauration d’un délit d’opinion à grande échelle. C’est la guerre qui gouverne en Turquie. Et elle permet de mettre en place des lois d’exception. »

La « plus grande prison du monde pour les journalistes »

Dans les universités, chaque cours a son délateur. Un professeur est condamné à l’autocensure s’il veut assurer ses cours sereinement. Les termes « génocide arménien » sont un prétexte légitime de mise à pied. Un vêtement aux couleurs rouge et verte du Kurdistan, un motif légal d’emprisonnement. Le 22 novembre, s’ouvrira le procès de Pınar Selek, une sociologue accusée de terrorisme depuis quatorze ans pour ses recherches sur le peuple kurde et aujourd’hui exilée à Strasbourg.
« Elle a été mise en prison et torturée sous plusieurs gouvernements, dont un de centre-gauche, déplore Étienne Copeaux. Il n’y a pas plus de répression sous Erdoğan en particulier. C’est valable pour tous les gouvernements depuis les années 70 ».
Le 10 octobre 2012, la Commission européenne a rendu public un rapport sévère sur les droits de l’homme : « La Turquie a besoin d’amender son code pénal et ses lois antiterroristes, et ainsi faire une distinction précise entre l’incitation à la violence et l’expression d’idées non violentes ». Le Comité pour la protection des journalistes, ONG basée à New York, qualifie la Turquie de « plus grande prison du monde pour les journalistes ».
Selon le site d’info indépendant turc Bianet, 95 journalistes étaient emprisonnés fin juin dans le cadre des lois antiterroristes. Un record mondial, devant l’Iran ou la Chine. « Depuis 2008, avec la question kurde, on s’achemine vers des situations de dictature », alerte Vincent Duclert. « Je n’emploierais pas le terme de dictature car il y a des élections, estime Étienne Copeaux. Mais on peut comparer la Turquie d’aujourd’hui à la Russie de Poutine ».

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